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L’Afrique du Sud en 24 images/seconde

Voici un panorama de treize films sud-africains. Cette liste n’est pas exhaustive, mais elle a le mérite de présenter des regards différents sur notre pays d’accueil et les problématiques liées à son histoire ou son actualité.

L'Afrique du Sud en 24 images/seconde

 Beyond the river (2017) :

L’industrie cinématographique sud-africaine connaît une nette amélioration de sa qualité globale. Voilà un brillant exemple de la façon cohérente de raconter une histoire vraie avec sincérité, tout en abordant toutes les complexités raciales de la rainbow nation.
Craig Freimond s’inspire intelligemment d’une histoire vraie, celle de Siseko Ntondini et Piers Cruickshanks, médaillés d’or du marathon de canoëkayak de Dusi en 2014. Il nous livre un film, tout en profondeur, sur le triomphe de l’esprit humain. Steve de Joburg, dont le mariage se délite, et Duma, un vrai talent de Soweto mais délinquant en fuite, sont deux hommes d’horizons différents avec un objectif commun : gagner l’or ! JPEG
Le début du film met en lumière le quotidien difficile de Soweto. Duma se sent prisonnier de son milieu et trouve dans sa passion pour le canoë une échappatoire. Il connaît le style de vie de son ami blanc, mais pas l’inverse. Une convergence d’événements imprévus va rapprocher les deux hommes et les pousser à participer au marathon en duo. S’ils doivent surmonter des obstacles, leur rêve ne s’accomplira qu’en unissant leurs forces dans le canoë et au-delà de la rivière.
Les dialogues sont intelligents, les indices visuels subtils et la photographie spectaculaire, depuis les gros plans du canoë jusqu’aux plans panoramiques !


 Les initiés (2017)

A Queenstown, Xolani, ouvrier pauvre, travaille dur dans une usine bruyante. Taciturne et solitaire, il vit sans passion. L’été venu, il retourne dans ses montagnes du Cap Oriental comme tous les ans pour être instructeur au sein de sa communauté Xhosa lors d’un rituel d’initiation. Premier pas de cette tradition ancienne au cœur de la nature, destinée à faire d’adolescents des hommes, la circoncision. La scène, si elle ne montre rien de frontal, donne le ton ! Parmi les participants, il y a Intrus, trop sensible, trop à part. Celui-ci venu de Joburg découvre le précieux secret de Xolani ; il a comme lui, lors de son initiation des années plus tôt, été mis à l’écart car jugé différent. Toute l’existence de Xolani menace de basculer. « Les Initiés » nous plonge dans une Afrique du Sud tiraillée entre traditions, modernité et tabou d’une homosexualité prohibée. Ce premier film de John Trengove a frappé la critique par sa force discrète et sa maîtrise. Il dépayse, malgré sa sécheresse, et noue une intrigue prenante et sobre, aux conséquences dramatiques annoncées. Dans la distribution, citons Nakhane Touré, artiste protéiforme à la notoriété montante : musicien, comédien, romancier, le sud-africain évolue loin des stéréotypes qui prévalent sur son
continent. Installé depuis peu à Londres, il a deux albums à son actif qui l’ont installé sur la scène musicale internationale.


 Un long chemin vers la liberté (2013)

Le producteur sud-africain, ayant obtenu les droits de l’autobiographie de Nelson Mandela, en a confié l’adaptation à l’Anglais Justin Chadwick, plutôt qu’à un cinéaste du pays. Dommage ! Ce biopic à la sauce internationale est l’objet d’une réalisation souvent conventionnelle pour transcrire une vie qui ne l’a jamais été. Avocat, militant de l’ANC, prisonnier politique, arbitre de la paix, président… chaque étape de ce parcours a contribué à faire de Mandela un symbole. C’est une œuvre lyrique, ambitieuse même si elle ne fait que survoler toutes les facettes de l’homme. Ce film réussit pourtant sa mission pédagogique, donnant un accès facile à ce chemin vers la liberté, qui mérite d’être connu de tous. Sans compter qu’Idris Elba excelle à transmettre la ferveur de Madiba. Derrière les barreaux, la résistance du grand homme n’est plus seulement exemplaire, mais humaine. Comme son charisme rusé lors des négociations avec le président De Klerk. Là, le film se hisse à la hauteur de son sujet. Didactique et efficace !


 Zulu (2013)

Dans ce thriller post-apartheid, une jeune fille est battue à mort à Cape Town. Parce que l’Afrique du Sud n’est pas qu’une carte postale mais aussi une terre aride et dangereuse, ce film policier sombre, nerveux et maîtrisé de bout en bout, est construit selon un scénario haletant : deux flics sud-africains opiniâtres mènent l’enquête, dans un contexte social et politique rude, entre townships misérables et villas de luxe. Jerôme Salle et ses interprètes, magistraux, donnent de la densité à cette descente aux enfers. En capitaine de police ébonnaire en apparence, mais déglingué par les séquelles de l’Apartheid, Forest Whitaker est parfait, subtil et déroutant. Orlando Bloom, en personnage d’alcoolique revenu de tout, déroule une performance rageuse, poignante, d’une violence réaliste. Une adaptation puissante du polar signé Caryl Férey, portée par un casting irréprochable !


 Invictus (2010)

Le titre fait écho au poème préféré de Nelson Mandela, écrit par William Ernest Henley. Le film se concentre sur la Coupe du monde de rugby à XV organisée en 1995 par l’Afrique du Sud. Nelson Mandela vient d’être élu. L’Apartheid est enterré. Dans les faits, il perdure. Le leader de l’ANC était persuadé que l’événement sportif, voire une victoire de l’équipe nationale, aiderait à la réconciliation du pays qu’il appelait de ses vœux. Mais les Springboks sont médiocres et n’ont jamais été soutenus par le peuple noir. La force du film est de montrer que les grands gestes peuvent s’appuyer sur un brin de naïveté ou de folie. Une sorte de mystique du sport qui galvanise. Une foi inébranlable, chevillée au réel. « On n’est jamais à 100 % dans le sport comme dans la vie » souffle Mandela à François Pienaar (joué par Matt Damon), capitaine des Springboks. Ces handicaps rendent la victoire d’autant plus retentissante. Et Clint Eastwood, cinéaste rassembleur, filme la ferveur collective, nous fait revivre cette aventure humaine, orchestrant l’émotion en un formidable crescendo.


 Goodbye Bafana (2007)

Cinéaste poids lourd aux deux Palmes d’or, Bille August s’attaque au sujet de l’Apartheid, à travers l’histoire de James Gregory, un Sud-Africain blanc qui fut le geôlier en charge de Nelson Mandela durant toute son incarcération à Roben Island. Le film est porté par la force de son sujet. De ce classicisme sans fioritures, servi par la sobriété du duo d’acteurs Joseph Fiennes - Dennis Haysbert, émerge une émotion discrète mais bien réelle. En montrant comment la conscience du gardien s’affranchit au contact du prisonnier, Bille August éclaire l’aura d’un être d’exception, que trois décennies d’emprisonnement n’auront pas suffi à faire oublier de son peuple.


 Mon nom est Tsotsi (2006)

Sous l’Apartheid, la production cinématographique se limitait à des comédies destinées au public blanc. Oscar du meilleur film étranger 2006, cet outsider sud-africain a signé l’émergence d’un cinéma libéré et engagé. Une émotion rare traverse ce portrait d’un gamin perdu de 19 ans qui vit dans un township de Joburg et joue les caïds en se faisant appeler Tsotsi (gangster dans le jargon des ghettos). Son vrai nom, il l’a oublié, avec son enfance. S’il le retrouvait, il pourrait devenir un autre. Jusqu’au jour où, en volant une voiture, il kidnappe involontairement un bébé. Commence une thérapie sauvage. Tsotsi retrouve une once d’humanité en s’occupant de l’enfant abandonné qu’il a été et est toujours un peu. Lancé comme une plongée documentaire percutante sur les townships, entre pauvreté et ultra-violence, le film de Gavin Hood se mue alors en un portrait intime avec une quête identitaire. Au-delà des errances, Tsotsi refait peu à peu son chemin vers l’humain. « Une épopée mentale, au cours de laquelle ce garçon aux réflexes de fauve va assumer
son passé, opérer une conversion, découvrir la compassion, entamer sa rédemption ».


 Une saison blanche et sèche (1989)

En Afrique du Sud, en 1976, un professeur d’histoire et sa famille ont construit un bonheur paisible, sous le régime autoritaire d’un Apartheid dont ils ne se soucient guère. Or, en toute impunité, les forces de police du capitaine Stolz répriment dans le sang des manifestations d’écoliers à Soweto. Lorsque Gordon, le jardinier noir, demande l’intervention du professeur pour son fils arrêté lors d’une rafle, Ben du Toit va prendre conscience de la réalité politique du pays. Quand Gordon, arrêté à son tour, meurt sous la torture, Ben décide de faire la lumière sur cette affaire. Ce film coup de poing est un témoignage réaliste et efficace sur l’éveil de conscience d’un Afrikaner bien-pensant durant la période la plus sombre de l’Afrique du Sud. Adapté du roman d’André Brink, le film est porté par Marlon Brando et Donald Sutherland.


 Cry freedom (1988)

En 1975, un journaliste blanc enquête sur Steve Biko, activiste et leader de la lutte contre l’Apartheid, avec lequel il se lie peu à peu d’amitié. Lorsque ce dernier est arrêté par la police du Cap et meurt sous la torture en prison en 1977, le journaliste va s’efforcer de prouver que le régime de Pretoria est directement responsable de sa mort. Inspiré de la réalité, le film nous plonge dans la nation arc-en-ciel dans ses pires années. Donald Woods devient un fervent défenseur du mouvement anti-apartheid et relate son amitié avec Biko qui s’est battu corps et âme au point d’en mourir. « Cry freedom » est un film politique remarquablement réalisé et très efficace. C’est aussi un récit d’aventures palpitant, porté par deux acteurs brillants et inspirés : Denzel Washington incarne Steve Biko, héros emblématique de la lutte, et Kevin Kline excelle en témoin écœuré.


 Les Dieux sont tombés sur la tête (1980)

PNGIncontournable ! Lorsqu’un avion passe dans le ciel, les Bochimans du Botswana pensent déjà que les Dieux se manifestent. D’un avion tombe un jour une bouteille de soda vide. La chose d’un autre monde est précieusement recueillie et utilisée de diverses façons. L’objet suscite bientôt jalousie et rancune, sentiments jusqu’alors inconnus dans la tribu. Pour faire revenir la paix dans le village, Xixo veut se débarrasser de l’objet. Après de vaines tentatives, il décide d’aller le jeter au bout du monde. Tandis que, muni de son arc et de la bouteille, il entame son long voyage, Kate, lasse des nuisances de la civilisation, se rend dans la brousse pour y devenir l’institutrice d’enfants indigènes. Elle est accueillie par Andrew, un jeune scientifique timide... Un scientifique maladroit, un coup d’État raté, un cadeau des Dieux empoisonné : trois histoires qui se mêlent avec humour ! Film culte sur le choc des cultures et des civilisations. Imparable !


 Le procès contre Mandela et les autres (2018)

L’histoire de la lutte contre l’Apartheid ne retient qu’un seul homme : Nelson Mandela. Il aurait eu cent ans en 2018. Il s’est révélé au cours d’un procès historique en 1963 et 1964. Sur le banc des accusés, huit de ses camarades de lutte risquaient aussi la peine de mort. Face à un procureur zélé, ils décident ensemble de transformer leur procès en tribune contre l’Apartheid. Les archives, permettent de revivre au plus près ce bras de fer. Entre archives sonores des audiences exhumées et animation, Nicolas Champeaux et Gilles Porte ont réalisé un documentaire remarquable d’intelligence et d’émotions sur le procès infligé en 1963 aux leaders sud-africains. Avec ce film, ils signent un bouleversant réquisitoire contre l’Apartheid.


 Forgiven (2019)

En 1994, à la fin de l’Apartheid, Mandela nomme l’archevêque Desmond Tutu, président de la commission « Vérité et réconciliation : aveux contre rédemption ». Il se heurte souvent au silence d’anciens tortionnaires. Jusqu’au jour où il est mis à l’épreuve par Piet Blomfield, un assassin condamné à perpétuité. Desmond Tutu se bat pour retenir un pays qui menace de se déchirer une nouvelle fois. Roland Joffé (Palme d’Or en 1986 pour Mission) adapte ici une pièce de théâtre ayant pour cadre la dite Commission créée pour dénombrer les exactions commises en Afrique du Sud pendant l’Apartheid. L’occasion d’un duel psychologique que l’on peut regretter trop manichéen entre l’archevêque noir incarné par Forest Whitaker, et un criminel blanc fictionnel (Eric Bana), raciste jusqu’au bout des moustaches, fier de sa condamnation à perpétuité et évidemment incapable d’éprouver le moindre remords !


 Mia et le lion blanc (2018)

Forcée de quitter Londres pour suivre ses parents éleveurs de félins en Afrique du Sud, Mia retrouve sa joie de vivre en nouant une relation hors du commun avec Charlie, un lionceau blanc. Pendant trois ans, ils vont grandir ensemble et vivre une amitié fusionnelle. Quand l’animal sauvage devient un lion adulte, la séparation devient inévitable. Mia a 14 ans et elle découvre l’insoutenable vérité : son père a décidé de le vendre à des chasseurs de trophées. Désespérée, Mia fuit avec Charlie pour le sauver. C’est le canevas typique d’une fable familiale. Fruit de trois années de production pour que la complicité entre l’animal et l’héroïne ne soit pas feinte, le film de Gilles De Maistre, réalisateur mais surtout documentariste touche-à-tout, séduit le spectateur en dessinant une relation émouvante et forte, tout en tirant partie des décors naturels de l’Afrique du Sud. Les plans de savane sont filmés au drone dans une lumière mordorée. Au-delà de cette histoire d’amitié, c’est le portrait en creux d’un pays en proie à l’exploitation où la savane recule inexorablement devant les capitaux étrangers. Le film dénonce l’hypocrisie des fermes d’élevage de lions, en réalité destinés à de piètres chasseurs ou des touristes-braconniers avides de sensations fortes. Même si le scénario est sans réelle surprise, c’est plutôt un bel ouvrage, autour de cet animal majestueux, dont la couleur atypique irrigue les légendes immémoriales évoquées en guise de fil rouge. Un film qui peut éveiller quelques consciences, c’est déjà un bon mérite !

Anne